Interview/ Clément Klutse : « Pour défendre un bilan positif, il faut plus que ça »

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Clément Klutse
Clément Klutse

Clément Klutsè, ce Togolais de la diaspora, suit avec intérêt l’évolution de la situation sociopolitique de son pays, notamment le processus électoral qui devra conduire à l’élection d’un président de la République le 22 février prochain. A travers cette interview accordée à la Rédaction, il donne son avis sur le processus, les 15 ans de Faure Gnassingbé à la tête du Togo, etc

Bonjour M.  Clément Klutse. Le Togo se prépare à organiser le 22 février prochain l´élection présidentielle. Quel regard portez-vous sur le processus électoral ?

Je dois dire que c´est d´abord un sentiment d´inquiétude et d´appréhension qui nous anime à l´issue de cette élection. Il faut en effet reconnaitre que pour une énième fois, on organise l´élection présidentielle au Togo dans un climat délétère et dans des conditions complètement viciées. De par les discussions que nous avons eues avec certains leaders politiques sur le terrain au Togo et aussi avec le citoyen ordinaire, il faut avouer que cette élection suscite encore beaucoup d´interrogations et d´incertitudes. On note que l´élection aura lieu sans observateurs internationaux crédibles comme l´Union européenne et que la demande d´accréditation d´une mission d´observation de l´église a été rejetée. De plus, on a une cour constitutionnelle qui juridiquement dans sa composition est illégitime et illégale, selon d´éminents juristes de la Diaspora car cette cour est composée de 7 membres au lieu de 9, selon la constitution. Dans ces conditions d´organisation au pas de charge et de non transparence, on s´achemine inévitablement encore vers une vague de contestation qui, comme par le passé, risque de déboucher sur des violences et même des tueries. En tant que Togolais de la Diaspora, on ne peut qu´appeler au bon sens des dirigeants actuels afin d´éviter toute violence sur une population qui ne demande qu´une gouvernance plus juste et plus équitable.

Le président sortant  Faure Gnassingbé est en quête d’un 4ème mandat. Qu’elle appréciation faites-vous de cette envie  de s’éterniser au pouvoir ?

Sans détour, il faut reconnaitre que ce sera le mandat de trop. En fait, on fait la politique pour le peuple et non pour soi. Le propre même de l´alternance démocratique veut qu´après un certain nombre de mandats, qu´on ait bien travaillé ou pas, qu´on s´éclipse pour laisser d´autres aussi faire valoir leurs compétences et leur savoir-faire. Lorsqu´on entend ici et là certains mettre en avant le fait que l´actuel président a beaucoup travaillé pour le développement et qu´on cite pêle-mêle des réalisations comme la construction de routes ou d´un aéroport, ça prête a sourire. Pour défendre un bilan positif, il faut plus que ça. La réduction de la pauvreté, le bienêtre de la population, surtout au niveau de la santé, la création d´emplois pour la jeunesse, etc doivent être des facteurs tangibles pour la population. Sur ces points, le bilan n´est pas pour autant reluisant. Il faut avouer que 15 ans de gouvernance est assez suffisant pour avoir décliné son projet politique. Au-delà de ça, il est clair qu´on n’a plus rien à offrir à son peuple. Si on veut analyser dans les détails et de manière objective le bilan de l´actuel système, on peut en grosso-modo retenir:

En termes de gouvernance politique, on est plus dans un système monarchique, qui plus est, vient d´être classé mondialement par „The Economist» comme une autocratie, une dictature. Le Togo est donc un pays à risque. Aucun investisseur sérieux n ´est intéressé par ces systèmes. Même le rapport Doing Business qu´on mettant en avant est assez critiqué dans les milieux des experts.

En terme socioéconomique, la pauvreté ambiante dans le pays est indéniable. Nous n´inventons rien. Le classement Statista 2019 fait du Togo le 11ieme pays le plus pauvre du monde. Selon les institutions internationales, pratiquement 50% de la population, soit 3,5 millions de Togolaises et de Togolais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Il faut donc accepter que c´est un aveu d´échec de plus de 50 ans de gouvernance de la même famille. Le taux de pauvreté reste très élevé, surtout dans les zones rurales où 69 % des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté. Du coup, les charges reposent sur la Diaspora qui se trouve être une victime collatérale de la mauvaise gestion du pays. L´opacité même qui entoure la gestion économique du pays a fait que même par exemple, des expertises extérieures, pour relever certains secteurs économiques clés du pays et créer des emplois, ont simplement été ignorés. Nous avons été interpellés sur plusieurs cas où on semble ne pas trop comprendre l´attitude qui sous-tend le comportement des dirigeants actuels.

Au plan des Droits de l´Homme, on note, au-delà des discours de bonnes intentions des gouvernants, toujours des violations et des arrestations fantaisistes des citoyens. L´arrogance couplée d´intimidations sont des comportements qui font craindre encore des tueries postélectorales. 2005 avec ses presque 1000 morts est encore ancré dans les esprits. Ne plus évoquer les événements de 2005 comme le prétendent certains, serait tout simplement irresponsable. 75 ans après les tueries nazies en Allemagne, on en parle toujours pour que ce genre d´événement ne se répète plus.

Au-delà donc des faits classiques qu´on connait comme la violence brûte, s´ajoute la déchéance morale comme les achats de conscience et la corruption. Aussi, un autre élément et non des moindres s´est établi, selon nos observations, depuis un certain temps. Les fake news, donc la divulgation de fausses nouvelles sur Internet et les réseaux sociaux pour manipuler et intoxiquer l´opinion sont également un gros sujet. Autant d´éléments qui ne laissent pas augurer de bonnes perspectives sous le système actuel. Voilà en gros à mon avis ce qu´on peut retenir des 15 ans de gestion du système actuel. A chacun donc d´en tirer les conséquences.

Malgré le verrouillage du système électoral par le régime, l’opposition se lance dans la bataille en rang dispersé. Est-ce la bonne stratégie ?

La grande erreur de l´opposition togolaise est qu´elle se comporte souvent comme si le Togo était déjà une démocratie, ce qui n´est pas le cas et ça vient d´être confirmé par le dernier rapport 2019 de „The Economist» qui classe le Togo comme une dictature, un état autocratique. La multiplicité des candidatures, comme on le voit maintenant, ne peut donc être une bonne chose. Des fois en politique, il faut savoir taire les ego et accepter de faire des sacrifices pour le bien du peuple en optant pour des alliances contre nature. A titre d´exemple en Allemagne, les deux grands partis démocratiques, la CDU et le SPD sont en coalition depuis plus d´une dizaine d´années pour gérer et résoudre les problèmes des citoyens de ce pays. C´est juste un mariage de circonstance pour atteindre des objectifs précis. Par contre personne ne veut coaliser avec l´AFD (Alternative pour l´Allemagne) qui est un parti d´extrême droite très violent. L´opposition togolaise doit donc elle-même être au clair de la vision qu´elle porte pour le Togo. Ou bien garder le statu-quo de plus de 50 ans de violence et de dictature, ou bien mettre l´intérêt général en avant et sortir le peuple du joug de l´autocratie. C´est seul dans les vraies démocraties que les candidatures multiples ont un sens. Au Togo, c´est encore prématuré.

On a le sentiment que les partenaires au développement dont l´Allemagne accompagnent le régime togolais malgré les dérives.

Je peux vous assurer que la Chancelière Merkel ayant vécu elle-même sous une dictature en exRDA avant la réunification, est très sensible aux questions de respect des Droits de l´Homme et de la promotion de la démocratie. Il faut reconnaitre toutefois que depuis des années, il y a eu comme une asymétrie d´informations sur le Togo au niveau de l´Allemagne. On avait ressenti ici un vide, un manque de visibilité de l´opposition togolaise, contrairement au gouvernement en place qui, lui, était très actif. L´opposition depuis très longtemps était plutôt dans une posture de nonchalance et même d´indifférence vis-à-vis de l´Allemagne. Un leader de l´opposition m´avait même fait comprendre en 2015 que ce n´est pas son travail de venir discuter et informer les autorités allemandes sur la situation au Togo, mais que ce rôle revenait à l´ambassade d´Allemagne au Togo. Dans le même temps, les ballets diplomatiques sur Paris étaient fréquents. Néanmoins lorsqu´en 2018, une délégation de l´opposition était en Allemagne pour rencontrer les responsables du département Afrique sur le cas du Togo, il y a eu une grande écoute et une grande réceptivité des doléances formulées.

Sur un autre plan, l´Allemagne ayant été longtemps absente du continent africain essaye de se réengager, notamment au plan économique et le Togo présente, compte tenu des relations privilégiées avec l´Allemagne, de nombreux atouts. Toutefois le mode de gouvernance pose problème. Il y a quelques semaines à Hambourg, lors d´une grande rencontre de mon Parti la CDU, le président du Bundestag (le Parlement national Allemand) évoquait justement l´attitude que l´Allemagne devrait adopter vis à vis des dictateurs en matière de coopération. L´Allemagne tente de trouver actuellement sa voie sur le continent, et dans cette constellation, il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle des autres puissances, notamment de la France. A mon avis, faut des concertations beaucoup plus périodiques et plus fréquentes avec l´Allemagne pour mieux expliquer le mal du Togo. L´Allemagne n´est pas du tout fermée à ce débat. Je dirai qu´elle a été peut-être un peu déçue d´une classe politique qui fonctionne de manière réactive. Les Allemands sont de nature proactifs.

Le Togo reste un cas particulier dans la sous-région; que doit-on vraiment faire pour mettre fin à cette situation ?

Je ne dirai pas que c´est une question complexe, mais que la solution reste dépendante de la volonté des uns et des autres et surtout de l´opposition togolaise. La CEDEAO en tant qu´institution sous-régionale a, à ce que nous savons, établi depuis quelques années à travers la signature d´un protocole, la promotion de démocratie et de la bonne gouvernance dans ses lignes directrices. Ce protocole devrait être une référence juridique contraignante et fondamentale pour les Etats membres. Ça, c´est dans la théorie. Dans la pratique toutefois, l´exécution ne suit pas du moins dans le cas du Togo. Le danger réside même dans la banalisation et le non-respect de la parole donnée car une fois qu´on laisse faire au Togo, cela deviendra nécessairement un cas de jurisprudence dans la sous-région. Ça risque d´hypothéquer le développement économique de la sous-région, vu que pour les années à venir, l´évolution démographique reste un grand challenge en matière d´attrait d´investissement privés et de création d´emploi pour la jeunesse. Aucun investisseur sérieux ne va investir dans des Etats de non droit. Là aussi, l´opposition togolaise a beaucoup de travail d´explication à faire. Trop longtemps le système actuel a réussi à faire passer comme une opposition désorganisée, irresponsable et juste avide de pouvoir. C´est ce message que nous entendons souvent dans certains milieux occidentaux et aussi africains.

Nous assistons depuis plusieurs mois à militarisation du pays avec des exactions sur les populations. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Cette évolution est inquiétante, mais ne peut pas être une surprise du moment où on a affaire à un système dictatorial dont la logique est la conservation du pouvoir par la force brute. Depuis des années, on pouvait voir dessiner cette stratégie qui, à terme consistera à quadriller et à museler les populations, à faire taire toute velléité de contestation au risque de se voir embastillé ou tout simplement liquidé. D´ailleurs les déclarations d´un ministre togolais qui, sur une chaine de télévision internationale, affirme que pour prendre le pouvoir l´opposition n´a qu´à aller chercher des armes, sont assez éloquentes à cet effet et révèlent l´état d´esprit de ceux qui gouvernent actuellement ce pays.

Allemagne et en Europe, l´immigration et les réfugiés africains sont des thèmes qui dominent le débat politique depuis des années. C´est donc l´occasion de rappeler aux partenaires occidentaux que la vague des refugiés découle des dictateurs et qu´il faille dans ce sens rappeler le gouvernement togolais à la raison pour éviter de produire d´autres vagues de réfugiés. Pour terminer, il faut noter en passant que dans la sous région, le Togo est l´un des pays dont le pourcentage de dépenses en armement par rapport au PIB est très élevé (2% en 2018). Même le géant nigérian à côté n´en dépense pas autant (0,5%). La première puissance européenne qu´est l´Allemagne est à 1%. L´argent du contribuable togolais doit plutôt servir à investir dans l´éducation, dans la santé, dans l´agriculture et la réduction de la pauvreté et pas dans la répression.

Votre mot de fin ?

 Le 22 Février prochain se tient encore une élection présidentielle pour décider de l´avenir du Togo. Les Togolaises et Togolais seront appelés á voter soit pour l´alternance démocratique, soit choisir de rester sous la dictature.

Il est évident que personne ne peut se satisfaire des conditions actuelles dans lesquelles cette élection aura lieu notamment. Les conditions de transparence pour une élection équitable ne sont pas réunies. Toutefois, l´unicité d´action de la classe politique sera déterminante. Bien plus encore, le courage et la ténacité pour réclamer la vérité des urnes seront capitaux. Trop longtemps, le Togo a végété dans la misère et dans le mépris total des dirigeants actuels qui, en 50 ans, ont évolué souvent entre incompétence, refus obstiné de réformer et corruption. L´argument sécuritaire actuel face au terrorisme pour conserver le pouvoir n´est pas tenable. Le Togo regorge de beaucoup de talents et dans les candidats actuels à l´élection présidentielle on retrouve des gens compétents pour protéger les Togolais et lutter contre le terrorisme.

Aussi, les conséquences fatales de la «mauvaise gouvernance» sur le développement économique sont visibles dans tout le pays avec près de 3,5 millions de Togolaises et de Togolais vivant sous le seuil de pauvreté. L’instabilité politique, couplée à la corruption omniprésente, a rendu la pauvreté particulièrement élevée et le développement économique très hypothéqué. Il n’y a pratiquement pas d’industries dans nos villes, qui sont encore dominées par l’agriculture, le revenu par habitant est l´un des plus bas au monde et la dégradation du système scolaire est inquiétante.

La Diaspora dans sa majorité soutient l´avènement démocratique au Togo pour apporter sa contribution au développement. Trop de projets de développement pour créer des emplois et transformer le pays attendent. Les autres pays de la sous –région ont pris une avance considérable sur le Togo. Osons le changement à travers cette élection. Tout le Togo y gagnera. Bonne chance à tous les candidats et surtout au peuple togolais.

Source : L’alternative

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