C’est ce jour d’avril 2005, de retour d’une manifestation contre le hold-up électoral ayant mis Faure Gnassingbé au pouvoir à la mort de son père, où j’ai assisté à l’assassinat d’un jeune homme devant les yeux de sa mère, en plein midi, à Adidogomé, par des miliciens du RPT devenu UNIR, c’est ce jour-là que j’ai réellement commencé à haïr Faure Gnassingbé.
A part le corps de mon père, je n’avais jamais vu un cadavre de toute ma vie. Le corps que j’avais vu ce jour-là était celui d’un jeune homme qui devait être âgé d’un peu plus de 20 ans, comme moi. Qui pouvait être moi. Durant plus d’une heure, j’ai vu une mère pleurer sur son fils mort dont le seul crime était d’être un militant de l’opposition.
J’ai eu la chair de poule. Et j’ai décidé que je ne resterais plus dans ce pays.
J’ai quitté le Togo trois ans plus tard, après avoir honoré des engagements académiques que je ne pouvais laisser interrompus.
Voici donc 15 ans que je suis dans la contestation de Faure Gnassingbé. Que je me suis juré que je n’aurai la paix que quand il aura quitté ce pouvoir qui n’est pas le sien. Voici 15 ans qu’il s’y maintient avec la même violence par laquelle il est arrivé. 15 ans d’échecs et de déceptions pour moi donc. Cette lutte aura été la plus éreintante et humiliante de ma vie.
Des fois, comme ce soir où l’armée vient encore d’introniser Faure Gnassingbé à la suite d’une élection qu’il a perdue à la face du monde, je suis las, et il me vient l’envie de tout laisser, et m’éloigner définitivement de ce pays qui de toutes les façons ne me nourrit plus.
Mais il est là, juste devant moi, juste à côté de moi, l’ombre du jeune homme, du cadavre qui avait à peu près mon âge, 20 ans. Qui crie. Qui hurle. Qui me toise. Me défie. Me menace. Me réclame une justice que je ne lui dois pas.
David Kpelly