La Constitution togolaise est-elle aussi impersonnelle ? C’est un principe universel. Mais tout porte à croire que lorsqu’il s’agit du sort de Faure Gnassingbé, la Constitution togolaise est malléable et façonnable. C’est la grande conclusion à laquelle l’on arrive, avec la dernière sortie d’Aboudou Assouma sur la problématique de la prestation de serment de Faure Gnassingbé.
Faure peut prêter serment quand il veut
Quand est-ce que Faure Gnassingbé doit prêter serment ? La question a commencé à triturer les méninges depuis quelques jours, notamment à l’approche de ce qui était admis comme le deadline constitutionnel pour ce faire.
En effet, conformément aux dispositions de l’article 63 de la nouvelle Constitution adoptée le 8 mai 2019, Faure Gnassingbé déclaré élu dès le premier tour de la présidentielle du 22 février dernier avec un score sans appel de 70,78 % des suffrages, devrait prêter serment au plus tard le 18 mars 2020, soit demain mercredi. « Les fonctions de président de la République sont incompatibles avec l’exercice du mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national, et de tout emploi privé ou public, civil ou militaire ou de toute activité professionnelle. Le président de la République entre en fonction dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de l’élection présidentielle », indique in extenso cet article.
Faux, rétorque le Président de la Cour constitutionnelle, Aboudou Assouma, estimant que ces dispositions ne peuvent pas s’appliquer dans ce cas de figure, parce que n’ayant pas prévu une élection au premier tour. «Considérant que dans l’hypothèse où un candidat à l’élection présidentielle est élu dès le premier tour de scrutin, en prêtant serment dans les quinze (15) jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle, son entrée en fonction abrégerait le mandat du président sortant ; que ladite disposition remettrait donc en cause l’article 51, alinéa 1 de la Constitution qui dispose que « Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois » », indique la Cour.
En clair, Faure Gnassingbé a jusqu’au 3 mai pour prêter serment, et il peut le faire quand il le voudra.
« Faurisation » de la Constitution jusqu’au bout
C’est la nième sortie d’Aboudou Assouma sur l’application de la Constitution togolaise devant des situations précises. La sortie de la Cour constitutionnelle devrait mettre fin au débat. Mais elle en rajoute à la polémique, avec une interprétation tendancieuse.
L’article 63 est on ne peut plus clair. Il n’est prévu en tout cas aucune exception, comme le prétend Aboudou Assouma. Cette interprétation selon laquelle Faure Gnassingbé n’est pas tenu par le délai de quinze (15) jours est une première. C’est la quatrième fois que le « Prince » se présente à une élection présidentielle et en est déclaré vainqueur. Et toutes ses prestations de serment se sont déroulées sans cette entorse notoire à la Constitution. C’est la première fois que l’opinion fait face à une telle interprétation.
La loi par principe est impersonnelle ; et à plus forte raison, la Constitution d’un pays. La nouvelle Constitution adoptée le 8 mai 2019 a été déjà taillée sur mesure pour Faure Gnassingbé. La preuve manifeste, l’article 158…qui est formulé pour le sortir de situation, qui lui remet le compteur à zéro et prescrit que les mandats déjà effectués ne comptent pas dans le décompte final. Une première au monde.
Comme si cela ne suffisait pas, la Constitution est souvent l’objet d’interprétations bizarres lorsque le sort de Faure Gnassingbé est en jeu. Alors que la nouvelle loi fondamentale indique noir sur blanc que la Cour constitutionnelle est constituée de neuf (09) membres, celle mise en place a été faite de seulement sept (07) membres et cela a semblé normal pour Aboudou Assouma et les siens. Les cris et dénonciations de l’opposition n’y ont rien fait.
Aboudou Assouma n’hésite pas à tordre le cou à la loi fondamentale pour voler au secours de son mentor. « Avant son entrée en fonction, le président de la République prête serment devant la Cour constitutionnelle, réunie en audience solennelle, en ces termes : « Devant Dieu et devant le peuple togolais, seul détenteur de la souveraineté populaire, Nous…, élu président de la République, conformément aux lois de la République, jurons solennellement : – de respecter et de défendre la Constitution que le Peuple togolais s’est librement donnée ; – de remplir loyalement les hautes fonctions que la Nation nous a confiées ; – de ne nous laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine, de consacrer toutes nos forces à la promotion du développement, du bien commun, de la paix et de l’unité nationale ; – de préserver l’intégrité du territoire national ; – de nous conduire en tout, en fidèle et loyal serviteur du peuple», indique l’article 64 de la Constitution. Mais avec cette « Faurisation » à outrance de la loi fondamentale par Aboudou Assouma, ce n’est pas exclu que pour une raison ou une autre, ces propos soient modifiés pour le « Messi » lorsqu’il lui plaira de prêter serment…
Tino Kossi
source : Liberté