8 décembre à Lomé : quand un simple appel à manifester coûte plus cher au régime que la rue elle-même
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Le 8 décembre 2025, Lomé a été transformée en forteresse pour contrer l’appel à manifester lancé par le M66. Patrouilles renforcées, capitale quadrillée, image internationale brouillée : malgré une faible mobilisation, le régime a payé le prix fort. Comme le rappelle Gnimdéwa Atakpama, dans une lutte non-violente, la victoire ne se mesure pas au nombre de manifestants, mais au coût imposé au pouvoir. Le 8 décembre en est la preuve éclatante.
Lomé, le 09.12.2025.Par Gnimdéwa Atakpama, auteur de « La nuit est longue, mais la révolution vient »
Le 8 décembre 2025, Lomé était verrouillée.Des patrouilles mixtes police-gendarmerie circulaient dans toutes les artères. Un dispositif sécuritaire massif quadrillait la capitale depuis le week-end.
Tout ça pour quoi ? Pour empêcher une manifestation.
Le M66 avait lancé l’appel le 28 novembre. Une grande mobilisation pour le 8 décembre, jour d’ouverture du 9e Congrès panafricain.Résultat : peu de gens dans la rue. La mobilisation est restée très limitée.
Certains diront que c’est un échec. Que l’appel n’a servi à rien. Ils ont tort. Parce qu’une manifestation réussie, ce n’est pas celle qui mobilise le plus de monde. C’est celle qui coûte le plus cher au dictateur.
Laisse-moi t’expliquer.Srdja Popovic, l’activiste serbe qui a contribué à faire tomber Milošević, dit quelque chose de simple mais puissant : « Quand vous pensez au pouvoir, souvenez-vous que son exercice a un coût. Votre boulot, en tant qu’activiste, est de faire en sorte que ce coût augmente sans cesse, jusqu’à ce que votre adversaire n’arrive plus à en supporter le poids. »
Le 8 décembre, le régime a déployé des centaines de policiers et de gendarmes. Il a mobilisé ses forces sur tout le territoire. Il a verrouillé une capitale entière pendant un événement international censé redorer son image.
Tout ça coûte. En argent, en temps, en énergie, en ressources humaines. En image.Et voilà le point crucial : ce coût, le régime l’a payé même si les manifestants n’étaient pas nombreux dans la rue.
Le simple appel à manifester a suffi.Dans « La nuit est longue, mais la révolution vient », j’écris que la menace de la sanction est plus efficace que la sanction elle-même. Un dictateur qui sait qu’un appel peut être lancé à tout moment doit rester en alerte permanente.Il doit maintenir son dispositif. Surveiller les réseaux sociaux. Déplacer ses troupes. Intimider les activistes. Préparer sa riposte.Jour après jour. Appel après appel.
C’est exactement ce qui s’est passé le 8 décembre.Le M66 n’avait pas besoin de mettre 10 000 personnes dans la rue. L’appel seul a forcé le régime à mobiliser des ressources considérables. À gâcher son événement panafricain avec un climat de tension. À montrer au monde entier
qu’il gouverne une capitale sous surveillance militaire.Popovic le dit clairement : « Nul n’est omnipotent, et les gouvernants les plus puissants de la planète s’appuient sur les mêmes ressources, rares et limitées, dont nous dépendons tous. Pour agir, ils ont besoin de main-d’œuvre, de temps et d’argent. Exactement comme vous et moi. »
Chaque appel à manifester épuise un peu plus ces ressources. Chaque déploiement militaire coûte de l’argent aux finances publiques. Chaque patrouille fatigue les agents. Chaque alerte mobilise l’attention des décideurs qui doivent gérer la crise au lieu de travailler à autre chose.
Et nous, qu’est-ce qu’on a dépensé ?Un communiqué sur les réseaux sociaux. Quelques posts. Des lives tiktoks. Des messages WhatsApp.
Le rapport coût-bénéfice est écrasant en notre faveur. Alors, que doit-on faire maintenant ?Continuer. Encore et encore.
Lancer des appels réguliers. Maintenir la pression. Obliger le régime à rester mobilisé. À dépenser ses ressources. À user ses forces de sécurité qui finiront par être fatiguées, démotivées, voire critiques du système qu’elles défendent.
Parce qu’à un moment donné, le coût devient insupportable.
Les policiers et les gendarmes qui patrouillent dans Lomé au lieu d’être avec leurs familles, ils s’en souviennent. Les budgets qui partent en opérations sécuritaires au lieu d’aller ailleurs, quelqu’un fait le calcul. Les images d’une capitale militarisée pendant un congrès panafricain, elles restent dans les mémoires internationales.
Chaque appel, même celui qui ne mobilise que quelques dizaines de personnes, est une victoire stratégique si le régime doit déployer des centaines de soldats en réponse. C’est ça, la logique de la lutte non-violente moderne.
On ne cherche pas à l’emporter par la force. On cherche à rendre l’exercice du pouvoir si coûteux que le système finit par s’effondrer sous son propre poids. Le 8 décembre n’était pas un échec. C’était une démonstration de force économique.
Le M66 a prouvé qu’avec un simple appel sur les réseaux sociaux, il pouvait obliger le régime à verrouiller une capitale entière. À gâcher son événement international. À montrer sa vulnérabilité.
Imaginez si on multiplie ces appels. Si on les rend imprévisibles. Si on force le régime à rester en alerte maximale pendant des mois.
Les ressources ne sont pas infinies. Le temps n’est pas infini. La patience des forces de sécurité n’est pas infinie. Quelque chose finira par céder.
Et ce jour-là, ce ne sera pas parce qu’on aura mis 100 000 personnes dans la rue en une seule fois. Ce sera parce qu’on aura épuisé le système par mille petites actions répétées, chacune coûtant plus au régime qu’à nous.
Le calcul est simple. On doit juste continuer à le faire.
Gnimdéwa Atakpama, auteur de « La nuit est longue, mais la révolution vient ».